jeudi, septembre 21, 2017

"Le livre que je ne voulais pas écrire" d'Erwan Larher (France)

Il ne voulait pas l’écrire, ce livre mais il ne pouvait pas ne pas l’écrire. Et il nous arrive comme un coup de poing dans la figure qui vous laisse K.O. C’est que lui, Erwan Larher, fan de rock depuis toujours, était au Bataclan le 13 novembre 2015. Écrivain, auteur notamment de « Marguerite n’aime pas ses fesses » (2016) et de « L’abandon du mâle en milieu hostile » (2013) il a vécu ces heures d’enfer et en est sorti vivant, sérieusement blessé mais vivant. Poussé par ses amis qui lui disaient que son « devoir » était de témoigner, il a beaucoup hésité puis, sans doute parce que c’était une nécessité profonde, viscérale, il a fini par se dire qu’il ne pouvait se dérober.
Mais comment trouver le ton juste, sans tomber dans le larmoyant ou le voyeurisme (et pourtant…) Comment traduire ce qui est de l’ordre de l’indicible. Il dit qu’il court après ce livre, qu’il doit « le dompter. L’apprivoiser. » Et que « sans cesse il se dérobe. » En fait, il va « écrire autour » de ce drame, « Écrire parce que tu n’as pas le choix, porté par une force qui te dépasse ; autour parce que tu es romancier et non chroniqueur, parce que tu ne peux façonner un texte qu’en appétant faire littérature. Ni témoignage ni récit, donc. Inventer autre chose. Forme. Langue. »
« Faire un objet littéraire ». Immense défi, pari improbable et pourtant réussite totale, car ce livre, s’il est bien un « objet littéraire », une sorte de chant choral écrit avec juste les mots nécessaires, est, sans doute précisément à cause de cela, un livre profondément émouvant et humain.
Erwan Larher se met à distance employant le « tu » quand il parle de ce qu’il a vécu, ses mots sont nus quand il dit ce qui s’est passé dans le Bataclan, et ils ont force d’image.
Il est la douleur des victimes:
« J’entends la guerre. La panique. Cataclysme sonore. L’odeur agresse aussi, âcre et douceâtre, le sang et la poudre, les tripes, même les cris ont une odeur de mort, des fumerolles de cris, des injonctions,… »
Il est la violence des terroristes :
« Tu tires sur ton mal-être et ta jalousie. Tu tires sur tes envies inassouvies et ta frustration… »
Chant choral parce qu’autour de lui il y a la voix de ses amis qui s’inquiètent, qui ne le lâcheront à aucun moment et l’accompagneront dans sa lente et douloureuse reconstruction. Il y a aussi les voix de tous les soignants auxquels il rend hommage et le monde de l’hôpital, où tous les détails ont de l’importance et qu’il décrit avec une grande justesse :
« guetter les bruits dans le couloir (chariots qu’on déplace, voix, micro-ondes en marche), les pas, bientôt une visite, bientôt une présence, pouvoir parler, être réconforté, solacié.»
Il y a même une certaine forme d’humour et d’autodérision. Ainsi il s’amuse du fait que sur son lit d’hôpital, alors qu’une balle lui a traversé le cul (c’est le terme qu’il emploie), il corrige les épreuves de « Marguerite n’aime pas ses fesses » et il pense de façon récurrente à la perte de ses santiags auxquelles il tenait tant.
Sa grande et difficile victoire sera de retourner dans une salle de concert : « Les musiciens s’installent. Keren-Ann arrive et entame son premier morceau. Je fonds soudain en larmes…Ce sont de bonnes larmes, presque purificatrices ;… Après quelques minutes, les sanglots s’apaisent. Voilà, j’ai remis les fesses dans une salle de concert. »
Un livre juste et fort qui est de ceux qu’on ne peut oublier, une écriture sèche, précise et poétique à la fois. Et un grand merci à la petite maison d’édition QUIDAM qui fait un beau travail d’avoir publié ce livre que son auteur ne voulait pas écrire.
Françoise Jarrousse



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