dimanche, octobre 30, 2016

"The Night", de Rodrigo Blanco Calderon (Venezuela)


Tout commence avec une chanson du groupe Morphine, « The Night », à l’ambiance crépusculaire : « You’re the night Lilah, a little girl lost in the woods. You’re a folk tale, the unexplainable. You’re a bedroom story, the one that keeps the curtains closed ».(Tu es la nuit Lilah, une petite fille perdue dans les bois. Tu es un conte ancien, tu es l’inexplicable. Tu es un conte pour s’endormir le soir, celui qu’on raconte quand les rideaux sont tirés). Tout commence à Caracas en 2010 avec les coupures d’électricité décrétées par le gouvernement qui plongent la ville dans le noir et la transforment en un lieu étrange et inquiétant où l’on perd tout repère. Une jeune fille, Lila, (la Lilah de la chanson ?) a été assassinée. Un psychiatre, Miguel Ardiles, expert auprès des tribunaux, s’occupe de cette affaire. Mais il s’occupe également d’un écrivain en devenir, Mathias Rye et d’un publiciste amoureux des palindromes, Pedro Alamo. Ces trois personnages se retrouvent à l’atelier d’écriture qu’anime Mathias. Mathias qui veut en finir avec le réalisme magique et créer le réalisme gothique, un réalisme qui côtoie le fantastique et l’horreur, qui soit digne de Philip K. Dick et de James Ellroy. Mathias qui vient de commencer à écrire « La Nuit » !
Et nous sommes embarqués dans cette histoire, dans cette ville devenue «  grotte et labyrinthe », ville angoissante et dangereuse qui « promet d’être la véritable ville gothique ». Nous voyageons également au cœur du langage (« attention au murmure des mots ») avec Ferdinand de Saussure et Dario Lancini dont le livre- palindrome « Oir a Dario » obsède Pedro Alamo. Et avec Dario Lancini et ses amis écrivains révolutionnaires nous traversons toute une époque, celle des années 50-60, époque troublée où Dario et ses amis, dont Rafael Cadenas, le grand poète cher à nos cœurs,  sont jetés en prison puis condamnés à l’exil. Nous les accompagnons alors au fil de leurs errances, à Paris, Prague, Athènes et Varsovie, retrouvons Cortázar, Aragon et bien d’autres. Nous perdons de vue Pedro Alamo dont on ne sait s’il s’est vraiment suicidé et retrouvons Matias Rye au prise avec «  les créatures de la nuit » et prêt à commencer l’écriture de « La Nuit » ainsi que Montesinos, le psychiatre qui assassine ses patientes, dont la jeune Lila et qui « aime détailler la couleur que la mort, pareille à un soleil défaillant et inaperçu, dépose sur tous les visages ».
Ce livre est un roman choral vertigineux où l’on se perd, un livre qui nous emmène au-delà du réel dans un pays en perdition (« ce pays, personne ne peut le sauver » dit Mathias Rye). Un roman nocturne qui est comme une métaphore de la situation actuelle du Venezuela.
Françoise Jarrousse
The Night, Rodrigo Blanco Calderon, chez Alfaguara et traduction française par Robert Amutio chez Gallimard, 2016

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