mardi, août 23, 2016

"La deuxième disparition de Majorana" de Jordi Bonells (France)

Rouvrant une enquête initiée par d’autres et notamment par Leonardo Sciascia (« la scomparsa de Majorana » 1975), Jordi Bonells – catalan français - s’interroge sur la disparition, en 1938, du brillant physicien italien, Ettore Majorana, dans un petit livre passionnant.
Majorana s’est-il noyé en mer comme cela a été officiellement annoncé à l’époque ? S’est-il réfugié dans un monastère comme le suggère Sciascia ? Ou a-t-il « disparu » en Argentine comme d’autres le pensent, dont un ami de Jordi Bonnels qui lui demande d’enquêter sur le sujet, à l’occasion d’un voyage qu’il doit faire à Buenos Aires. Cette recherche est d’abord anecdotique, il trouve quelques pistes, obtient à peu près la preuve que Majorana s’est bien réfugié en Argentine, à Buenos Aires mais tout reste très flou.

Rentré en France, il reprend ses activités universitaires mais peu à peu ce personnage s’insinue en lui et finit par l’obséder. Tant et si bien qu’il demande une mise en disponibilité et repart, mû par l’impérieuse nécessité d’élucider ce mystère. Et cette recherche qu’il mène pas à pas dans cette capitale en perpétuel évolution, où des lieux disparaissent quand d’autres gardent les traces du passé, cette recherche donc, devient alors presque un quête métaphysique. Pourquoi cet homme s’est-il volontairement effacé, pourquoi est-il devenu un autre ? Qu’est-ce qui peut pousser un homme à disparaître? Question angoissante, encore plus dans un pays où l’on a fait disparaître tant de gens, où sont venus se réfugier tant de criminels nazis.
À cette question, Béatrice Geller, épouse de disparu, répond ceci : « La disparition de Luis Alfredo… ne peut pas être du domaine du souvenir… Non monsieur, elle fait encore partie de ma réalité quotidienne. Non que je sois dans l’attente absurde de le voir réapparaître. Je sais qu’il a disparu pour de bon. Mais désormais, chaque mort absurde me renvoie à lui, et avec ça, l’idée insoutenable qu’en allant faire mon marché, en flânant avenida Santa Fé ou dans les jardins de Palermo, au cinéma, au restaurant, je puisse, sans le savoir, croiser quelqu’un qui… qui… pourrait… qui aurait pu y être mêlé… qui pourrait savoir… me dire comment cela s’est passé… Elle ne me quitte pas cette pensée. » (p139)
Et Majorana, pourquoi ? S’il n’affirme rien, Jordi Bonells nous donne quelques pistes, à travers d’abord une remarque de Witold Gombrowicz qui joue souvent aux échecs avec Majorana et dit de lui qu’il est un « remord ambulant ». De quel remord s’agit-il, nous ne le saurons pas. Peut-être est-ce ceci : «Il vivait dans l’attente d’une voix venue de derrière qui au moment le plus inattendu lui dirait : Un momentito señor. Pour lui demander des comptes. Une voix que nulle disparition ne pouvait faire taire…car c’était la sienne ».
Nous apprendrons finalement ce qu’il est advenu de Majorana, une sorte d’ironie de l’Histoire mais que je ne dévoilerai pas !
Françoise Jarrousse

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