lundi, août 31, 2015

"Empatía" de Víctor Del Árbol (Espagne)

Texte d'actualité traduit et reproduit pour Version Libre avec la très amicale autorisation de l'auteur !

Empathie, de Víctor Del Árbol
28 août 2015
Je ne peux pas éviter une certaine sensation d'imposture en commençant ce billet. Parler de la souffrance d'autrui en écoutant Mozart - Symphonie n°25 -, les pages du journal furieusement froissées et jetées par terre, c'est presque un exercice de trahison.


Je ressens souvent quelque chose comme ça lorsque je rencontre en France ou en Espagne des enfants et petits-enfants de ceux qui furent les protagonistes du grand exode que nous appelons chez nous "la Retirada" [la Retraite] et qui a jeté des centaines de milliers d'Espagnols vers la frontière française à la fin de la Guerre Civile. Ils me montrent des photos en noir et blanc de grands-parents et d'arrières-grands-parents, de pères et d'oncles, de mères et de sœurs aînées ... Aucun d'entre eux n'est plus là, et je me rends compte de l'effort que font leurs descendants pour les maintenir reliés à eux-mêmes en racontant ce qu'ils furent. La mémoire est un film que nous nous passons une fois, puis que nous nous repassons, et auquel nous apportons chaque fois de nouveaux détails pour lui donner forme, elle n'est jamais inaltérable.

Je lis des livres, des revues, j'écoute des enregistrements, j'écris, je réfléchis, je cherche et je recherche, je vais sur leurs tombes, sur leurs plages, dans leurs villes... Et je sens que je ne suis pas avec eux, que la souffrance qu'ils ont ressenti dans ces années-là est si terrible que je ne pourrai jamais la revendiquer quel que soit le nombre de lettres manuscrites, de sentences de mort, de jugements qu'ils me montrent. Et ces documents continuent à affluer, et je continue à les lire.
Comment ressentir de l'empathie pour la douleur au point de la comprendre sans user de compassion mais de fraternité ? La compassion est une bonté trompeuse. Elle nous place au dessus de celui qui souffre, elle nous fait croire que nous sommes à l'abri et que nous pouvons y consacrer une part de nous même, de notre temps, de notre solidarité. La fraternité, c'est autre chose. La fraternité nous entraîne, avec elle nous faisons nôtre la souffrance de l'autre parce que nous savons que nous sommes pareils, qu'aujourd'hui c'est toi, et moi avec toi, qui poussons ta fille de quelques mois sous une clôture de fil de fer barbelé pendant que des policiers t'aspergent de gaz. Tu ressens cette angoisse et cette peur au présent – le futur n'existe pas - ; la nuit, tu rêves des bombes qui pleuvent sur Alep, sur les marchés de Bagdad, tu redoutes tout ce qui porte un uniforme et un fusil ; tu es indigné par les mensonges des journaux qui te convertissent en problème quand tu n'es comme tant d'autres qu'un homme ou une femme avec une vie que la guerre et d'autres choses que tu n'arrives pas à comprendre ont déglinguée.
Voir mourir des dizaines d'êtres humains dans un camion de boucherie et les voir abandonnés sur une aire d'autoroute en Autriche, abandonnés pendant des semaines, jusqu'à ce que les corps pourrissent. Et penser que ce sont des êtres humains ceux qui vous ont mis dans ce camion, ceux qui vous ont laissé mourir. Le chauffeur, le passeur, l'intermédiaire. Des hommes, des femmes, qui ont des enfants, et une vie.
Mon fils veut être ingénieur, mais l’État Islamique veut en faire un taliban. Ma fille veut connaître l'amour mais la tradition exige de lui amputer le clitoris, je suis chrétien mais en Érythrée on m'empêche de prier ; je suis homosexuel et en Irak je suis condamné à mort. J'aime lire Nietzche mais c'est un sacrilège en Érythrée. Je ne suis qu'un homme qui ne veut ni se battre ni saisir une arme...
J'ai les pieds en sang, ma fille est fiévreuse, les criminels viennent me racketter la nuit, le soldat de la frontière veut coucher avec moi en échange de mon passage. Les journalistes m'interrogent et m'expliquent comment me tenir devant la caméra, les politiques arrivent en voiture blindée et me donnent une petite tape dans le dos. Les humanitaires, ces jeunes gens européens et américains, s’époumonent pour me trouver de l'eau et font que je ne perds pas espoir. La nuit, je demande à Dieu, si jamais il existe, qu'arrive enfin un jour où tout cela aura valu la peine. Je ne veux pas entendre ceux qui disent qu'en Allemagne ils sont en train d'incendier des abris. Non, c'est là-bas que je vais, et j'aurai un travail et une dignité, et mes enfants seront heureux... ils auront le bonheur que je n'ai jamais eu.
Vous ne comprenez donc pas ? Je ne veux pas de votre compassion. Je suis une femme qui veut vivre, je suis un homme qui ne veut pas ressentir la honte en regardant ses enfants, je suis un enfant qui veut un ballon de Messi, je suis une jeune fille qui joue du violon. Je suis un vieux qui ne veut pas mourir entre des clôtures de fil de fer barbelé. Je suis comme toi. Je suis toi.
Traduit par Laurence Holvoet pour Version Libre (Les Collecteurs) 31/08/2015




Empatia, de Víctor Del Árbol
28 de agosto, 2015
No puedo evitar cierta sensación de impostura al empezar a escribir esta entrada. Hablar del sufrimiento de otros escuchando a Mozart –sinfonía 25 – con las páginas del periódico arrugadas violentamente y arrojadas al suelo resulta casi un ejercicio de traición.
Algo así he sentido muchas veces, cuando me he entrevistado en Francia o en España con hijos y nietos de aquellos que protagonizaron el gran éxodo que nosotros llamamos la Retirada y que empujó a cientos de miles de españoles hacia la frontera gala al terminar la guerra civil. Me enseñan fotografías en blanco y negro de abuelos y bisabuelos, de padres y tíos, de madres y hermanas mayores…Ninguno de ellos está ya, y yo me doy cuenta del esfuerzo que hacen sus descendientes para retenerles junto a ellos con el relato de lo que fueron. La memoria es una película que pasamos una y otra vez, que vamos matizando para darle forma, que nunca permanece inalterable.
Leo libros, revistas, escucho las grabaciones, escribo, reflexiono, busco e indago, viajo a sus tumbas, a sus playas, a sus ciudades…Y siento que no estoy con ellos, que el sufrimiento que padecieron en aquellos años es tan terrible que no podré asumirlo por más cartas manuscritas, sentencias a muerte, actas de juicios que me muestren. Y siguen llegando, y yo sigo leyéndolas.
¿Cómo empatizar con el dolor hasta el punto de entenderlo sin uso de compasión sino con fraternidad? La compasión es una bondad engañosa. Nos coloca por encima del que sufre, nos hace creer que estamos a salvo y que estamos en condiciones de ceder parte de nosotros, de nuestro tiempo, de nuestra solidaridad. La fraternidad es otra cosa. La fraternidad nos impele, hacemos nuestro el padecimiento del otro porque sabemos que somos iguales, que hoy eres tú y yo contigo el que arrastra a tu hija de pocos meses bajo una alambrada de espino mientras policías te lanzan gases. Sientes esa angustia y ese miedo por el presente –no existe el futuro –; sueñas por las noches con las bombas cayendo en Alepo, en los mercados de Bagdag, temes a cualquiera que use uniforme y un fusil; te indignas con las mentiras de los periódicos que te convierten un problema, cuando solo eras como tantos, un hombre o una mujer con una vida que la guerra y cosas que no llegas a comprender truncaron.
Ver morir a una decena de seres humanos en un camión de carne y ser abandonados en una autopista de Austria, durante semanas abandonados, hasta que los cuerpos se pudren. Y pensar que son seres humanos los que te han metido en ese camión, los que te han dejado morir. El conductor, el traficante, el intermediario. Hombres, mujeres con hijos, con una vida.
Mi hijo quiere ser ingeniero pero el EIS quiere hacerle talibán. Mi hija quiere conocer el amor pero la tradición dice que hay que amputarle el clítoris, yo soy cristiano pero en eritrea me impiden rezar; soy homosexual y en Irak estoy condenado a muerte. Me gusta leer a Nietzche pero eso es sacrilegio en Eritrea. Yo solo soy un hombre que no quiere luchar ni empuñar un arma…
Los pies llagados, mi hija con fiebre, los criminales que vienen a extorsionarme por la noche, el soldado de frontera que quiere acostarse conmigo a cambio de dejarme pasar. Los periodistas que me preguntan y me dicen cómo debo ponerme ante la cámara, los políticos que aterrizan en coches blindados y me dan una palmadita. Los voluntarios, estos chicos y chicas europeos y americanos que se desgañitan para conseguirme agua y que me hacen no perder la esperanza. Por las noches le pido a Dios si aún existe que algún día todo valga la pena. No quiero escuchar a esos que dicen que en Alemania están quemando albergues. No, allí es a dónde voy, y tendré un trabajo y dignidad y mis hijos serán felices…la felicidad que yo no tuve.
¿No lo entienden? No quiero su compasión. Soy una mujer que quiere vivir, soy un hombre que no quiere mirar a sus hijos avergonzado, soy un niño que quiere un balón de Messi, soy una niña que toca el violín. Soy un anciano que no quiere morir entre alambres de espino. Soy como tú. Soy tú.



¡Muchas gracias, Víctor por tus palabras tan justas!

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