lundi, mai 11, 2015

"La Bicyclette statique" de Sergi Pàmies

Dans trois semaines maintenant s'ouvrira à Montpellier la 30ème édition de la Comédie du Livre, rendez-vous incontournable pour tous ceux qui aiment lire et rencontrer les auteurs, et qui veulent, par la même occasion, se faire un panier de lecture estivale !
Comme depuis quelques années déjà, le Comité de Lecture de l'AFCM sera au rendez-vous et s'est donc vu confier cette année l'animation de trois rencontres avec des écrivains qui nous sont familiers ou que nous avons découverts pour l'occasion !

L'une de ces rencontres se tiendra le samedi 30 mai à 14h, au tout nouveau Gazette Café, avec Sergi PÀMIES.


Sergi est un écrivain qui aime la concision. C'est un auteur de nouvelles quoi ! Et il les cisèle avec un réel talent et un style bien personnel.


Je me propose de vous parler aujourd'hui de "La Bicyclette statique" (2010, et 2011 pour la traduction française) qui est, des trois recueils que j'ai lus jusqu'ici, celui qui a le plus résonné en moi.
Les histoires qu'il nous raconte ici parlent de nous, les quadras/quinquas. Il évoque pour nous aussi bien les petites pilules qui nous aident parfois à la faire passer, que les mystères de nos origines individuelles, que nos tentations de parfois en finir, que les heurs et bonheurs de nos aventures sentimentales qui se heurtent au temps qui passe et lessive tout, que nos problèmes de poids et de régime, que nos nostalgies d'enfants, que nos petites et grandes lâchetés qui font finalement de nous des êtres touchants et terriblement humains... Chacun s'y trouvera, c'est sûr !
Et il évoque tout cela avec un style très efficace, qui va droit au but et qui laisse une belle place à la fois à la prise de distance et à l'implication personnelle de l'auteur et de son lecteur... On sourit et l'on rit !
Voici une petite mise en bouche !
Survie (pp. 74 à 76)
"On lui a recommandé si souvent de chercher les réponses à l'intérieur de lui-même qu'un beau jour il organise une expédition. Équipé d'un casque de spéléologue, d'une machette, d'un piolet et de cordes d'alpiniste, il commence la traversée. Le premier franchissement est le plus difficile. Il doit se concentrer beaucoup pour trouver la fissure adéquate et, en forçant, se glisser dans sa propre peau. Le passage de l'extérieur à l'intérieur le fait transpirer et jurer, mais, grâce à des manœuvres de contorsionnistes et à l'énergie artificielle que lui donnent les antidépresseurs, il y parvient (émerveillé par l'efficacité de la machette pour se frayer un chemin et éliminer les obstacles). L'espace qui l'accueille n'a rien à voir avec ce qu'il avait imaginé. On lui avait parlé d'un territoire pratiquement illimité et, à tout hasard, il s'était muni d'un kit de survie. Mais maintenant il bouge la tête pour éclairer un espace fermé, sombre, en forme d'armoire. Avec la discipline apprise au cours de multiples thérapies, il évite d'en tirer des conclusions. Il sait qu'il ne doit pas se précipiter et il se raccroche à la possibilité de trouver, au-delà de cette claustrophobie initiale, d'autres espaces. Pour se donner une plus grande facilité de mouvements, il pose le sac à dos et les cordes. De la pointe du piolet, il éprouve la consistance des limites qui l'entourent : toc, toc. Ce qu'il voit – des couches superposées d'obscurité entourant des silhouettes d'étagères vides et de cintres sans vêtements – ne le rassure pas. Si cette armoire est l'endroit où il devait trouver des réponses, pense-t-il, ça se présente mal. Comme chaque fois qu'il se sent angoissé, il commence à avoir faim. Il tire du sac à dos deux barres protéinées et les dévore avec l'avidité d'un naufragé. Ce qui lui passe par la tête lui plaît aussi peu que ce qu'il voit. Il ne sait pas ce qu'il s'attendait à trouver mais l'espoir qui l'a conduit jusqu'ici ne prévoyait pas un meuble vide. Sans effort, il reconnaît les symptômes de la déception. Il éprouve la tentation de tirer une fusée pour voir si, vers le haut, il y a autre chose que cet espace qui, de plus, lui donne l'impression de rétrécir. Ce n'est qu'une impression mais cela lui suffit pour comprendre que, bien qu'il se souvienne qu'il est venu chercher des réponses, il ne sait plus à quelles questions elles correspondent. Quand, sur un ton aseptique et paternaliste, on lui parlait du concept "à l'intérieur de toi", il n'avait jamais imaginé un espace de ce genre. Maintenant il se rend compte de son erreur quand il avait cru que tout serait vaste, étendu, incommensurable. Que tout soit aussi sombre et insignifiant est peut-être une réponse en soi, suppute-t-il. Si, quand il n'avait pas encore entrepris ce voyage, il n'était pas disposé à admettre certaines choses, maintenant non plus. C'est pourquoi, sous l'effet dynamisant des protéines de la barre, il se lève et commence à frapper violemment contre le fond de l'armoire. Outre la rage, les coups de piolet lui transmettent des motivations plus intimes. Peu à peu, il réussit à ouvrir une brèche et il aperçoit, de l'autre côté, le monde de toujours. Encouragé, il continue à frapper. La fièvre perceptrice des policiers en train de mettre des contraventions lui fait éprouver une certaine tendresse et la mer, saturée de surfeurs et de jet skis, lui transmet une vitalité aussi réconfortante que l'odeur, mélange de sel, de sardines carbonisées et de crème solaire. Quand il parvient à agrandir suffisamment le trou pour sortir de lui-même, il se met à courir comme s'il fuyait un incendie, sans se préoccuper du sac à dos, des cordes, de la machette, du piolet et des questions sans réponse qu'il laisse derrière lui."


Je ne peux terminer ce petit billet sans évoquer le traducteur, Edmond Raillard ! Il se trouve qu'il a été mon professeur à l'université il y a........ pfffff...... vingt-huit ans déjà ! Quel plaisir de le retrouver et de constater qu'il a mis à profit toutes ces années pour construire une belle œuvre de traducteur - n'oublions jamais que les traducteurs sont des auteurs ! - de langue "rare", le catalan ! Une si belle œuvre qu'il a même déjà été récompensé pour elle, puisqu'il a reçu en 2013 le Grand Prix de Traduction de la Société des Gens De Lettres (SGDL).

"La bicyclette statique" de Sergi Pàmies, traduction du Catalan par Edmond Raillard, Ed. Jacqueline Chambon, 2011, 112p.


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